C’est LA question qui fâche. Tout le monde, sans exception. Lorsqu’on me parle de piano, il ne se passe pas 3 minutes sans que ne soit abordée la question-piège du solfège. Soit on me raconte une sinistre expérience passée avec des cours de solfège incontournables, une ou plusieurs fois par semaine, avec un·e prof désagréable. Soit on me demande “et sinon, avec le solfège, ça se passe comment?”
Si tu me dis que tu apprends l’Inuktitut*, je ne vais pas bondir et te demander immédiatement comment ça se passe avec l’orthographe… Je vais m’intéresser à ce que tu sais déjà dire, quand et comment tu vas l’utiliser (prépares-tu une expédition chez les Inuits?). Je vais te demander si c’est vrai que dans cette langue il existe bien plus de termes pour désigner la neige et la glace que chez nous…
Quel rapport avec le solfège? Réponse un peu plus bas…
*tu l’as deviné, l’Inuktitut c’est la langue des Inuits ! Je suis toute fière d’étaler ma science apprise il y a 3 minutes au moment de rédiger cet article…
Qu’est-ce que le solfège?
Eh bien c’est l’équivalent de l’orthographe, et de la grammaire, en musique.
On peut très bien commencer la musique sans savoir comment ça s’écrit !
Un petit enfant commence à gazouiller dès 6 mois, et ce n’est qu’après plusieurs années qu’il va apprendre à écrire et lire. Quant à l’imparfait du subjonctif et autres joyeusetés de la grammaire, il a le temps jusqu’au collège pour s’y adonner sereinement.
Pour nous musiciens, le solfège c’est l’ossature de la musique:
Tu as tout d’abord la lecture des notes, savoir faire la différence entre un mi et un sol sur une partition, pour s’y retrouver sur le clavier.
Et la compréhension des rythmes. Un peu comme la ponctuation lorsque tu parles: tu marques des points d’arrêt, des respirations, tu “rythmes” ton propos.
Le solfège, c’est exactement ça. C’est savoir lire et/ou écrire exactement la musique que tu joues, avec toutes ses finesses : mélodie, rythme, interprétation, nuances (c’est le bouton volume de ta chaîne ou de ta télé)…
À quoi sert le solfège?
Tout simplement, à transmettre ! Le « par cœur” est très restrictif, et ne te donne pas de liberté : si tu reproduis, à l’oreille, ce que tu as entendu, tu vas jouer exactement la même chose. Tu auras certes le plaisir de la performance, peut-être pas le plaisir de la re-création.
Toutes les civilisations du monde ont évolué à partir du moment où elles ont maîtrisé l’écriture, que ce soit en hiéroglyphes, en alphabet, en petits dessins… La transmission par l’écrit permet à l’auteur d’être lu et compris par d’autres en dehors de sa présence physique.
Lorsque tu lis un livre, tu te représentes les personnages, tu entends le narrateur qui te décrit la situation, tu vois la scène… Eh bien lorsque tu joues en ayant une partition sous les yeux, c’est pareil : tu découvres la mélodie, et tu la joues telle qu’elle est écrite, mais en y mettant ta patte, ton petit grain de sel. Tu ne joueras jamais exactement comme un·e autre pianiste, même en suivant les mêmes indications sur la partition.
C’est comme lorsqu’on lit à voix haute, en “mettant le ton”. Il y aura autant d’interprétations que d’interprètes.
Alors le solfège, ami ou ennemi?
Ni l’un ni l’autre, ou les deux ! Il faut bien reconnaître que tôt ou tard il faut s’y frotter, et que sans solfège il n’y a pas de musique. Même si on n’a pas besoin de le nommer ou de le mettre en vedette.
C’est un peu comme Mr Jourdain qui découvrait qu’il faisait de la prose sans le savoir. Si tu joues du piano, tu fais certainement aussi du solfège, sans le savoir !
Je ne résiste pas au plaisir de te montrer cette merveilleuse vidéo dans laquelle Bobby Mc Ferrin enseigne à un public, absolument pas prévenu, une subtilité de solfège, l’échelle pentatonique.
C’est magnifique, mélodieux, surprenant, et … tout sauf triste ou ennuyeux !
Il me paraît évident, et mon expérience me le montre régulièrement, que, si tu es un tant soit peu curieux, il y a forcément un moment où tu t’intéresseras au pourquoi et au comment de la musique, de la mélodie que tu es en train de jouer, et là… c’est du solfège ! Le mot n’est pas joli, c’est peut-être ça aussi qui intimide.
Alors, pourquoi ne pas le remplacer? J’attends ta proposition…
Avec passion et bienveillance,
